D’un point de vue démographique, le continent africain est jeune.
Selon l’institut national d’études démographique « l’Afrique subsaharienne conserve la croissance la plus rapide au monde depuis l’an 2000 (autour de 2,7 % par an contre 0,3 % à 1,8 % ailleurs), une fécondité très élevée bien qu’en léger déclin (4,7 enfants par femme en 2017 contre 1,7 à 2,8 ailleurs), la mortalité la plus forte (61 ans d’espérance de vie) mais en nette diminution (8 ans d’espérance de vie la séparent de l’Asie du Sud aujourd’hui, contre 12 ans en 2000). De 2000 à 2017, la population de l’Afrique a augmenté de 58 % et celle du reste du monde de 19 %. »[1]
La question de la croissance démographique africaine soulève différents débats, le plus souvent d’ordre écologique ou de santé publique. Aussi pertinent que cela puisse être, ce ne sont pas ces aspects qui m’interpellent aujourd’hui, en réalité, mon intérêt se porte sur un tout autre point, qui n’est autre que le rapport entre cette jeunesse massive et leurs identités respectives confrontées à un lourd passé historique et un phénomène avéré : la mondialisation.
Le répercussions d’un patrimoine historique en péril
Peter Handke, un auteur autrichien dont j’apprécie la pensée, a dit « Quand une nation perd ses conteurs, elle perd ses enfants ». Cette citation reflète parfaitement la thématique que j’aborde ici. L’importance du passé dans le présent pour construire le futur est une évidence pour beaucoup d’un point de vue théorique, mais en réalité cela relève de plus en plus de l’utopie. Sans vouloir refaire l’analyse des conséquences multiples de la traite négrière et des colonisations, il est tout de même important que ces périodes restent ancrées dans les mémoires. Ne pas oublier, non pas pour se morfondre sans fin mais pour se guérir sainement. Est-il possible de soigner efficacement une maladie sans en connaître les causes ?
Tandis que les discours politiques parlent de mondialisation, les économistes préfèrent « globaliser ». Le capitalisme s’érige en grand maître de cérémonie sur la scène internationale. L’occident en fin stratège a su subliminalement propager sa vision du monde au fil du temps. A travers la culture, le divertissement, le modèle de consommation ou encore les différentes doctrines de bien-pensance, il faut avouer que la partie a été finement jouée. La « pensée unique » cette fameuse théorie qui déferle tant les passions, peut-on encore l’évoquer sans être taxé de complotisme ?
Reconnaissons tout de même que les territoires africains ayant subit la colonisation n’en sont pas sorti indemnes, et pour cause… Il est difficile de se construire lorsque l’on ignore qui on est vraiment. En ayant évolué dans une société où tout ce qui est beau, bon et bien, c’est l’autre.
Cependant, ce bilan ne devrait pas être un prétexte au suicide identitaire auquel nous assistons tous tant bien que mal, comprenez donc que je fais partie de cette génération qui refuse de cracher dans la soupe, en refusant de rejeter « tout ce qui n’est pas noir » ! (Âmes sensibles s’abstenir)
La transmission : responsabilité partagée
J’ai eu l’opportunité au courant de ma vie de me rendre dans plusieurs pays à travers le globe, c’est une chance et j’en suis consciente. J’ai pu aussi côtoyer de près un monde dont je ne suis pas issue, d’apprendre des récits qui ne concernent pas mon peuple et d’échanger avec les uns et les autres. Ce serait mentir que de prétendre qu’être une pupille de la diaspora africaine est une bonne fortune sans encombre. Ce parcours que je décris m’a d’abord formaté à n’admirer que mon contraire, à ignorer mes pairs, donc à m’ignorer à moi-même.
Puis le temps est passé.
Ce qui tantôt me désespère tantôt m’horripile c’est cette facilité dans laquelle on s’auto conforte à accuser la terre entière de nos malheurs. J’entends par là que ce type de discours en 2023 ne sont plus audibles pour la simple et bonne raison que le temps n’a pas tout effacé (pas encore) et que la conscience collective à ce propos n’a en réalité jamais disparu, elle a sans doute été peu exposée, en effet il fut un temps où il fallait vraiment aller chercher l’information, avoir cette volonté de décrypter l’histoire, mais à mon humble connaissance, ceux qui aujourd’hui seraient qualifiés de lanceurs d’alerte ou même de dissidents, ont toujours existé, quelque soit l’époque...
Alors aujourd’hui à l’heure où la vitesse de l’information défie même les lois de la gravité peut-on encore parler de peuples intellectuellement opprimés ?
Entendons nous bien je parle ici d’une jeunesse africaine, qu'elle soit autochtone, expatriée ou exilée, cette jeunesse plus ou moins urbanisée et connectée, car une chose est très limpide dans mon esprit, les sages et les anciens que l’opinion générale pourrait qualifier d’arriérés sont pour moi, et de loin, les plus éclairés.
Mon intention n’est pas de nier la volonté de pouvoirs systémiques existant, qu’ils soient d’ailleurs africains ou occidentaux, à vouloir maintenir les populations dans une sorte de vide abyssal et profane afin de mieux les asservir. Mon propos consiste en premier lieu à reconnaître que cette situation n’est pas propre à la jeunesse africaine uniquement puis à faire entendre raison à chacun d’entre nous. Nous sommes tous responsables. Nous sommes tous complices. Nous sommes tous concernés. La véritable question c’est quand est-ce que nous allons enfin assumer notre responsabilité ? Ou plutôt comment nous y prendre ?
J’ai brièvement parlé de mon expérience personnelle parce que j’ai été cette jeune fille perdue dans son identité. J’ai simplement décidé un jour qu’il fallait que ça change. J’ai cherché l’information que l’on ne me donnait pas dans la société dans laquelle j’évoluai, j’ai lu et relu des ouvrages qui me rappelaient mon identité, j’ai écouté des discussions philosophiques centré sur un prisme identitaire qui correspond à mes racines… J’ai fait connaissance avec mes pères, ainsi, j’ai fait connaissance avec moi-même. Et la beauté de cette histoire c’est que je sais pertinemment qu’elle n’est pas inédite, car combien sommes nous à nous être reconnecté à nos identités ? Combien sommes nous à transmettre ce que l’on a appris de cette épopée ? C’est là qu’intervient la complicité dont je parle. L’individualisme qui caractérise les sociétés modernes nous font oublier l’essentiel. Cette quête a-t-elle réellement un sens si elle reste profondément personnelle ?
- « Ils ont volé nos savoirs, ils ont pillé nos trésors, ils nous ont menti…
- Ont-ils volé vos âmes ? »
On ne peut remonter dans le temps et refaire l’histoire. On ne peut que tirer des leçons et aller de l’avant. Oui il faut reconstruire, il faut réparer, il ne faut plus se résigner mais surtout il faut transmettre. A travers l’art, l’écriture et l’histoire pour refondre l’imaginaire collectif dans un moule favorable à l’acceptation et l’estime de soi des jeunes générations.
Lorsque l’on se réconcilie avec soi-même tous les complexes et toutes les idées reçues disparaissent pour ne laisser place qu’à la quiétude et l’assurance de notre importance. Je l’ai dit, j’ai lu et j’aime Césaire, Fanon, Senghor ou Angelou mais oublier des plumes comme Maupassant, Sand, de Beauvoir ou Flaubert qui ont accompagné mon adolescence serait un mensonge envers moi-même. Dois-je pour autant me sentir coupable ?
Je reste convaincu que s’il existe des nations dominantes, c’est qu’elles ont pris le temps d’étudier et de connaître leurs cibles. Il ne s’agit pas de sortir d’une forme d’ignorance pour plonger dans une autre. Mon observation finale se résume en quelques mots :" La peur de l’autre c’est avant tout la peur de soi, fuyez le manichéisme, acceptez votre héritage culturel et traditionnel et bâtissez."
Mrs Prue
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